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Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis)
Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis)

Une question qui revient souvent sur les forums de botanique et de mycologie est de savoir si telle plante sauvage ou tel champignon se mange, s’il est comestible.

L'homme, ancien chasseur, pêcheur, cueilleur des temps préhistoriques a gardé cet atavisme qui le pousse à consommer des espèces sauvages dont bien sûr, quand revient l'automne, les champignons.

Le summum de la curiosité intellectuelle est atteint lorsque la considération gastronomique dépasse la curiosité intellectuelle. Q’importe le nom de la plante ou du champignon, tant que ça se mange et/ou que ça soigne quelque chose.

Les plantes sont évidemment sur terre pour notre service. Elles ont été créées pour être mangées par nos soins ou pour être utilisée pour nous soigner. Si elles ne servent à rien, on les qualifie alors de « mauvaises herbes ». Le prisme gastrique est aussi efficace que l’acide chlorhydrique pour digérer le bon sens.

En plus, comme c’est « naturel », ça ne peut être que bon pour nous. Tout le monde sait bien que ce qui est "naturel" est meilleur que ce qui est, disons... "non naturel". Le problème maintenant vient de ce que personne n'est en mesure de définir clairement ce que "naturel" signifie.

Certains gourous ,naturocharlatans ou autres ont bien flairé le filon à exploiter. Entre les sorties immersion dans la nature à écouter le chant du dahu au clair de lune, aux sorties botaniques où chaque brin d’herbe se mange et guérit toute les maladies, la nature remplit les poches et les estomacs.

Ce texte ne se veut pas exhaustif. Son objectif est d'initier la reflexion et de donner des pistes. Le lecteur curieux et interessé trouvera à la fin de ce document diverses références de source dont une thèse de la faculté de pharmacie de Grenoble concernant l'intoxication par les champignons réputés comestibles.

La définition de comestibilité

Selon le Larousse, est comestible ce qui propre à être utilisé comme aliment par l’homme. La comestibilité a une étendue de signification qui va de mangeable à gastronomique. Beaucoup de choses peuvent être mangées, des feuilles d’arbres en passant par les hirondelles. Evidemment, pour diverses raisons, nous ne mangeons pas toutes les choses dites comestibles.

Homo sapiens, pour séparer le comestible du non comestible, peut s’appuyer sur le savoir transmis culturellement et depuis quelques décennies aussi, sur les données générées par l’épidémiologie et la toxicologie concernant les effets à long terme de tel ou tel type d’ aliments.

Certains ne sont restés qu’au premier type de savoir, empirique, préférant considérer comme parole d’évangile et savoir scientifique que si la plante, toujours consommé par la grand mère Irma au fond de son jardin ne lui a rien fait, c’est qu’elle est sans danger. On ne manquera pas de rappeler aux sceptiques qui questionnent Mme Irma qu’à l’époque, Galilée a du se raviser aussi. Et même si le corps médical indique que cette plante contient des substances toxiques, il est de toute façon à la solde de Big Pharma. Tout ce qui est naturel est sans danger disent certains après tout. Des moisissures argumentatives classiques utilisées par les nostalgiques du jardin d’Eden.

La pensée magique et la comestibilité

Manger est un acte d’une intimité fondamentale, par lequel une matière étrangère et extérieure au corps est incorporée en nous. La bouche est en fait le dernier « poste frontière » entre le monde du dehors et celui du dedans. Le fait d’ y introduire des objets, de les mastiquer, de les avaler, est lourd de puissants affects.

Par conséquent, manger quelque chose de « naturel », c’est ramener du « naturel » dans l’organisme. Qui ne connaît l’expression « on est ce qu’ on mange »

Selon certains chercheurs en sciences humaines, l’alimentation, par son processus d’incorporation de la nourriture, est une des activités humaines les plus propices à la pensée magique . Pour l’individu qui mange, l’aliment s’introduit alors à l’intérieur de l’organisme au sens matériel du terme, mais aussi au sens idéel. Le mangeur moderne serait alors aux prises de son imagination et d’une certaine pensée magique.

C’est ce qu’on appelle en nutrition la loi de similitude. Dans la pensée magique, la personne acquiert les propriétés des aliments qu’elle ingère. Les végétaux, plus particulièrement ceux consommés crus, en phase de germination, sont tenus pour « vivants » : leur ingestion améliore la santé et prolonge la vie. C’est évident que les acides et enzymes de notre estomac feront la différence et qu’à l’issu de la digestion le corps saura également faire la différence entre un acide aminé mort et un acide aminé vivant.

L’homme alors entretient une relation pleine d’espoir avec l’aliment, qui va lui donner la force, l’allure, l’intelligence qu’il souhaite absorber. Puisque « l’on est ce que l’on mange », il suffit de le lui dire, et il le « croira ».

Considérations sur la notion de comestibilité

La toxicité d’une plante sauvage ou d’un champignon peut être classée selon différents types.

Mécanisme dose-dépendant

Mécanisme le plus connu selon lequel à une augmentation de dose correspond une augmentation de l’effet et de sa sévérité. Il correspond à la célèbre phrase de Paracelse (1493-1541) « la dose fait le poison » C’est alors considérer qu’il existe une dose sans effet, c’est-à-dire un seuil en dessous duquel la consommation ne s’accompagne pas d’effet indésirable (sauf sensibilité particulière du sujet).

Cette phrase s’employait à l’époque de Paracelse, époque où la science toxicologique n’existait pas encore et qu’on ne connaissait pas les courbes en U, la toxicité chronique, l’effet cocktail, etc.

J’ai souvent remarqué que certains aiment bien ressortir les phrases éculées, autrefois adaptées à un contexte historique, pour donner un air d’authenticité.

Toxicité extrinsèque

Le meilleur champignon comestible récolté dans un environnement pollué devient dangereux pour la santé Les champignons sont des véritables usines chimiques parfois gorgées de toutes sortes de pollutions (radio-activité, métaux lourds, pollution agricole, lessivage des routes, etc.) qu'ils accumulent, voire concentrent..

Georges Becker faisait état en 1975 dans « La vie privée des champignons » d’intoxications par des Agaricus bisporus récoltés dans des champs de maïs traités aux herbicides. Les champignons avaient été contaminés par un désherbant sélectif pour gazon. Giacomoni indique aussi que le désherbant fait pousser les morilles, mais « si les morilles résistent à la chimie, nous ne résisterons peut-être pas aux morilles » !

Pour les plantes sauvages, il vaut mieux éviter également de consommer ceux qui poussent sur des sols traités.

Pour le mercure, par exemple, les champignons sont capables, à partir de ce métal, de synthétiser un dérivé extrêmement toxique, le méthyl-mercure . C’est lui qui fut responsable de la catastrophe de la baie de Minamata. Le cadmium est particulièrement accumulé chez les agarics. Quant au plomb, il faut tout de même éviter de récolter des champignons le long des autoroutes et des routes très fréquentées.

La pollution radioactive n’est plus non plus à négliger.

De nombreuses moisissures attaquent également les champignons, tout comme nos autres aliments. Ces moisissures peuvent sécrèter des aflatoxines, toxines possédant un pouvoir cancérigène élevé..

Chez les plantes sauvages, certaines reconnues comestibles peuvent devenir dangereuses à cause de parasites tels par exemple la douve du foie (rencontré souvent dans le cresson sauvage) ou l'échinococcose (transmise par les selles des chiens et des renards). Dans ce cas, cuire suffisamment les baies, fruits et végétaux reste la seule mesure de prévention.

Toxicité extrinsèque conditionnelle

L’utilisation d’un sachet plastique pour déposer la récolte de champignon favorise la fermentation et le développement de bactéries et substances toxiques. Même si ce conseil est bien connu des mycophages, l'usage de sac plastique reste encore trop fréquent.

De mauvaises conditions de séchages des plantes sauvages peuvent également entraîner l’apparition de composés indésirables.

Citons également le coprin noir d'encre (Coprinus atramentariaus) et son effet antabuse loesqu'on associe ce champignon à de l'alcool. Cet effet n'existe pas pour le non moins connu coprin chevelu (Coprinus comatus)

Toxicité intrinsèque conditionnelle

Certaines espèces de champignon sont responsables d’intoxication quand ils sont consommés crus (présence de toxines thermosensibles, comme par exemple les hémolysines dont la présence est démontrée pour un certain nombre d’espèces). La notion de comestibilité dépasse ici la simple dénomination du champignon et incluse également sa préparation. Un des exemples les plus connus est l’amanite rougissante (Amanita rubescens) mais il y en a d’autres.

Attention, toutes les toxines des champignons ne sont pas détruites par la cuisson. Seules les toxines thermosensibles le sont.

Le schizophylle commun est un champignon commun dont la litterature rapporte des cas d'intoxications mais rien qu'en sentant le champignon. Ces cas de basidiomycoses (germination des spores du champignon dans les poumons) sont rares, sont survenues dans des cas particuliers mais ils existent néanmoins. Ce champignon selon les sites est sans intérêt culinaire et classé parmi les espèces non comestibles.

Toxicité intrinsèque théorique

Elle concerne les espèces pour lesquelles la présence d’une toxine avec certaines propriétés cytotoxiques ou histotoxiques a été montrée, alors qu’il n’y a pas d’intoxication recensée ; l’hypothèse la plus vraisemblable est une probable dénaturation de la toxine lors du processus de digestion. Il s’agit ici d’un risque théorique.

Intolérances

Ce sont les espèces pour lesquelles des intolérances sont rapportées lors de la consommation .

L’intolérance se manifeste souvent par des diarrhées chez des personnes qui présentent des susceptibilités particulières ; par exemple, des individus souffrant d’une carence génétique en tréhalase, l’enzyme qui dégrade le tréhalose, un sucre particulier des champignons. Par conséquent, ces personnes ne peuvent pas manger de champignons sans risque de fortes diarrhées. On estime que 5 % des gens présentent une intolérance à ce sucre

Les champignons sont également riches en mannitol un autre sucre qui peut également provoquer des diarrhées.

Allergies alimentaires

Ce sont les espèces pour lesquelles un potentiel d’allergie est documenté. Nombre de publications montrent des allergies cliniques ou biologiques dans des situations d’expositions le plus souvent professionnelle (exposition cutanée et/ou respiratoire par les spores) et plus rarement après ingestion. Un contact répété d’origine professionnelle pourrait conduire à une sensibilisation du sujet, qui peut par la suite se manifester lors d’une consommation alimentaire de la même espèce.

Allergies non alimentaires

Concerne les espèces impliquées dans une allergie lors d’une circonstance non alimentaire mais qui atteste un potentiel de sensibilisation (Pleurotus ostreatus par exemple)

Sensibilité selon le contexte physiologique

De façon générale, associés à certains aliments, l’activité de certains médicaments peut être altérée. Les interactions entre médicaments et aliments peuvent être à l’origine d’une augmentation des effets indésirables ou d’une diminution de l’efficacité du médicament.

Ces interactions sont connues et mentionnées dans la notice des médicaments qu’il est toujours recommandé de lire attentivement.

Ce type d’interaction médicamenteuse existe pour les champignons. Je renvois le lecteur curieux vers la thèse de 2011 de Pierre-Henri Givelet (lien dans les Sources en fin de texte) . Pour les plantes médicinales, bon nombre d’entre elles ont des contre-indications et il recommandé d’avoir un avis médical préalable à leur usage. De toute façon, on utilise nombre de ces plantes pour se soigner, pas pour se nourrir

On peut retrouver également des syndromes digestifs de type indigestion (nausées, vomissements, diarrhées) en cas de consommation excessive, en cas d’état de faiblesse du consommateur, même pour des espèces comestibles.

Les champignons contiennent de la chitine. Présente dans la carapace des insectes, cette substance n’est pas facile à digérer. Il est recommandé de préférence de ne pas consommer les champignons en plat principal, mais plutôt comme accompagnement et dans des sauces pas trop grasses. surtout quand ils sont préparés avec beaucoup de gras ou en omelette.

Les champignons ne sont pas indiqués pour les enfants, particulièrement ceux en bas âge. Insuffisamment émincés, les champignons peuvent provoquer une occlusion intestinale due à une mastication insuffisante.

La comestibilité, une notion historique et mouvante

Le syndrome de SZECHWAN est un syndrome toxique découvert début des années 80 et se traduisant par une attaque des plaquettes,. Le champignon incriminé est l’oreille de Judas ( Auricularia auricula – judae)

Le 13 septembre 2001, le New England Journal of Medecine (Canada) cite une étude française rapportant 12 intoxications survenues dans le Sud-Ouest de la France entre1992 et 2000, dont 3 furent mortelles et imputables au Tricholome équestre (Tricholoma equestre), considéré jusqu’alors comme un excellent comestible. Le 13 Octobre 2003 l'agence française de sécurité sanitaire des aliments (ANSES) annonce que les cas cliniques observés ont été clairement imputés à une consommation excessive de ce champignon sans qu’il ait pu être déterminé de dose toxique, que les données disponibles ne permettaient pas de fixer une dose tolérable, et qu’il fallait informer les ramasseurs et les consommateurs des risques encourus en cas de consommation excessive.

Giacomoni et Pierre Roux ont mis au pilori le genre Agaricus car ils contiennent tous de l'agaritine, une substance à l’origine d’autres molécules cancérigènes . D'autre part c'est également un genre fortement accumulateur des métaux lourds et de radioactivité , pricipalement la section des Arvense.

Nous verrons peut être apparaître dans les années futures d'autres pathologies. En effet il pourrait y avoir des risques de transformations génétiques encore mal élucidées de nos jours.

Conclusion

Que ce soit pour des plantes sauvages ou des champignons, répondre à la question de comestibilité n’a aucun sens. C’est une notion on ne peut plus relative qui dépend de facteurs culturels, de considérations toxicologiques intrinsèques ou extrinsèques, de facteurs de préparation culinaires mais aussi des facteurs personnels.

Pour certains auteurs même et je me range de leur avis, LES CHAMPIGNONS SONT A CONSIDERER NON COMME DES ALIMENTS MAIS COMME DES CONDIMENTS.

Le Dr Caroline Paliard, pharmacienne indique qu’il faut les déguster avec grande modération : « Une fois par semaine, c’est trop. En principe, il faudrait en manger trois ou quatre fois par an »

C’est très compliqué la notion de comesbilité me direz vous ? C’est tout le paradoxe de l’omnivore. Notre capacité à s’adapter et manger de tout est une force évolutive de notre espèce mais ça exige en contrepartie un certain effort intellectuel. A moins que ce serait plus simple et sans se triturer les neurones si nous étions des herbivores, sachant pour l’ éternité que l’herbe est bonne à manger et qu’elle est seule à l’être.

Pour finir avec les champignons, il ne s'agit pas non plus de sombrer dans une "mycétophobie" chronique. Je me rappelle d'une sortie champignon que j'avais animé où à l'issu, une dame m'avait fait part qu'elle avait désormais peur des champignons. Intérieurement je considérais l'objectif comme atteint car la cueillette des champignons est une activité qui ne s'improvise pas et qui invite à la modestie et au doute, même les cueilleurs chevronnés. Devant la complexité du règne mycélien mais aussi face au constat que moins d'1% des espèces estimées sont décrites, la modestie est de rigueur.

Rien que les observer, les étudier, les respecter, envisager leur rôle fondamental dans l'écosystème, est déjà un régal en soi même et qu'importe alors la comestibilité et ses arcanes avec cette nourriture de la curiosité.

Sources :

http://www.lemangeur-ocha.com/fileadmin/contenusocha/02_magie_sympathique.pdf

http://ansm.sante.fr/S-informer/Presse-Communiques-Points-presse/Medicaments-et-aliments-lire-la-notice-pour-eviter-les-interactions

http://www.champis.net/wiki/index.php/Les_champignons_dits_comestibles_le_sont-ils_encore_%3F

http://mycologie.catalogne.free.fr/Mycotoxicologie.html#Intoxications_etrangeres

http://cap.chru-lille.fr/GP/magazines/96481.html

http://champignons-de-france.fr/Généralités/La%20consommation%20des%20champignons.html

http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1021

http://www.larecherche.fr/savoirs/dossier/europeens-preferent-crevettes-aux-sauterelles-01-07-2010-76058

http://wsimag.com/fr/gastronomie/11078-lhomme-et-la-consommation-alimentaire

http://www.charlatans.info/herbalism.shtml

http://www7.inra.fr/lecourrier/assets/C42Branlard.pdf

http://www.leprogres.fr/lyon/2015/10/04/pourquoi-ne-peut-on-pas-manger-tous-les-champignons

http://pharmacie.univ-lille2.fr/theses-et-memoires-dinternat/memoires-et-theses-en-ligne/theses-2011/p3.html

http://dumas.ccsd.cnrs.fr/file/index/docid/1025662/filename/2008GRE17042_roux_aurelie_1_D_SO.pdf

http://blog.mycoquebec.org/blog/les-basidiomycoses/

Le cortinaire violet (Cortinarius violaceus)

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Le schizophylle commun (Schizophyllum commune)

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La trompette des morts (cantharella cornucopioides)

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L'amanite rougissante (Amanita rubescens)

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