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Des toxines dans les champignons comestibles

Quand on parle de champignons toxiques ou mortels, on pense de suite à l'amanite phalloïde (Amanita phalloides), la galère marginée (Galerina marginata) et bien d'autres. Pour ces champignons on parle de toxicité inhérente, c'est à dire une toxicité intrinsèque du champignon, quel que soit le mode de consommation, l'endroit de la cueillette, etc.

Certains champignons ont également une toxicité intrinsèque mais éliminé par le mode de préparation, comme par exemple l'amanite rougissante (Amanita rubescens), contenant une toxine hémolytique qui est thermosensible. Ainsi ce champignon est toxique à l'état cru mais reconnu comestible une fois bien cuit.

Cet article ne traitera pas de ces champignons. A leur sujet, ce n'est pas la littérature qui manque et le lecteur curieux ne manquera pas de trouver des informations à leur sujet.

Cet article ne traitera pas non plus de la toxicité conditionnelle liée à la pollution de l'endroit de la cueillette, de l'âge et de l'état du champignon, de la sensibilité individuelle du consommateur, etc. A ce sujet, je renvoie le lecteur vers la pertinente thèse d'Aurélie Roux, "Intoxication par les champignons réputés comestibles" dont vous trouverez le lien ci après.

Amanite phalloides

Amanite phalloides

Dans cet article, au contraire, je vais développer la notion de toxicité intrinsèque des champignons dits comestibles. La réflexion nous amènera à parler aussi bien des champignons de Paris que des girolles ou des cèpes de Bordeaux avec peut être un point commun entre ces derniers et l'amanite phalloïde.

Je n'ai jamais caché que je ne considère aucun champignon comme comestible, que ce ne sont pas des aliments mais plutôt des condiments. C'est mon opinion et on peut tout à fait avoir une opinion différente à ce sujet. J'explique mes arguments dans un article que j'ai rédigé et dont vous trouverez le lien ci après. C'est aussi pourquoi je ne réponds jamais à une question de comestibilité sur un forum de mycologie. Je prends mes précautions et aussi mes responsabilités.

Les agarics

Tout le monde connaît le rosé des prés ou même le champignon de Paris qui n'est pas de Paris mais c'est une autre histoire. Ces champignons appartiennent au genre Agaricus. Ce qu'on connaît moins est l'agaritine, une molécule présente dans ces champignons.

Le champignon de Paris (Agaricus bisporus) contient une quantité importante d’agaritine, entre 165 et 457 mg/kg de produit frais. D'autres champignons de l'ordre des Agaricales, les lépiotes, contiennent également cette molécule. Présente en quantité variable selon les espèces, la métabolisation de l'agaritine peut induire la néo formation de substances toxiques pour l'homme. Les agarics pour information ont également tendance à concentrer la pollution dont les métaux lourds. Pour information, de l'agaritine a également été mise en évidence dans le Shiitake (Lentinus edodes) à 0,82 microgramme / g de poids humide.

L’agaritine n’est pas dangereuse en soi mais elle se métabolise assez rapidement en phenylhydrazine, carcinogène susceptible de favoriser le cancer des poumons, de l‘estomac, du foie ou des reins d’après des expérimentations sur souris de laboratoire (100% de mortalité). Les taux observés de carnimone de la vessie chez la souris ont été de 30,8% pour Agaricus bisporus frais et 23,5 % pour le Lentinus edodes frais.

L' agaritine a donné lieu à de multiples articles, peut être parce le champignon de Paris est un champignon très consommé, et que ce serait déroutant s'il n'était plus comestible. Mais les toxicologues n'en sont pas encore là. Des souris à l'homme, le chemin est encore long et, même s'il est mutagène in vitro, et peut-être cancérigène sur des animaux de laboratoire, il n'a jamais défrayé la chronique par sa « dangerosité ». Il convient de rappeler que ce n'est pas un aliment de notre quotidien, et que par prudence, il ne faudrait pas qu'il le devienne.

Il convient de respecter certaines règles par rapport à l'agaritine :
• Ne pas consommer le champignon cru ; la cuisson en effet réduirait le taux d'agaritine dans le champignon.
• Le préparer lorsqu’il est très frais et ne pas le laisser plusieurs jours au frigo.

En résumé, la seule chose dont on soit sûr, c'est de la présence de composés mutagènes dans certains champignons, et de leur pouvoir cancérigène ou reprotoxique sur certaines espèces animales, à des doses souvent très élevées. (il est important de préciser que cette cancérigénité dans le champignon et dans le cadre d'une consommation raisonnée n'est pas établie) Cette conclusion est extrapolable pour un grand nombre d'aliments consommés communément. En pratique, consommer de façon raisonnable les champignons semble le conseil le plus approprié.

Précisons d'emblée une chose. Faut-il céder à la panique et ne plus consommer de champignons de Paris ? Clairement non si vous n'avez pas de soucis pour les digérer. La validité scientifique des modèles expérimentaux avec les souris a été contredite et contestée par d'autres études. Il faut donc raison garder et laisser les mycotoxicologues faire leur travail en attendant qu'un jour un consensus émerge sur cette question. Pas seulement en mycologie mais aussi en nutrition, vous trouverez quasiment pour chaque aliment des études vantant les méfaits et d'autres les bienfaits. Il faut prendre de la hauteur et ne pas sombrer dans la démarche dite du "cherry picking". La réalité est tout sauf binaire.

Pour conclure ce paragraphe sur une touche plus optimiste, des recherches actuellement sont en cours pour étudier des substances actives potentiellement anti cancérigènes chez les champignons de la famille des agaricacées. Une thèse de Philippe Chiffoleau " Les champignons de la famille des Agaricacées :source d'innovations thérapeutiques" soutenue en septembre 2014 est consultable sur la toile.

Des toxines dans les champignons comestibles

La toxine de l'amanite phalloïde dans les girolles et le cèpe de Bordeaux ?

Un extrait de l'ouvrage "Champignons de France" de Jean-marie Polese a éveillé ma curiosité.

Concernant les girolles (Cantharellus cibarius), il écrit : "les girolles contiennent, comme l'amanite phalloïde, de l'amanitine - poison trop bien connu - mais en quantités si infimes qu'il faudrait en consommer une tonne pour constater son action. Cette information se retrouve également dans l'ouvrage The Fungal Pharmacy: The Complete Guide to Medicinal Mushrooms and Lichens (2011) de Robert Rogers.

Dans l'ouvrage Handbook of Mushroom Poisoning: Diagnosis and Treatment (1994) de Barry H. Rumack et David G. Spoerke, les auteurs font référence à une publication de 1976 (Faulstich et Cochet-Meilhac) indiquant la détection d'une activité de l'amatoxine de l'ordre du ng/g dans des champignons frais comme la girolle (Cantharellus cibarius) et le cèpe de Bordeaux (Boletus edulis).

Des toxines dans les champignons comestibles

Dans l'article de 1976 AMATOXINS IN EDIBLE MUSHROOMS de H. FAULSTICH* and M. COCHET-MEILHAC du Max-Planck-Institut fiir medizinische Forschungp Abteilung Naturstoff-Chemie, et de l' Institut de Chimie Biologique, Unit& de Recherche sur le Cancer de I’INSERM et Centre de Neurochimie du C.N.R.S. , Strasbourg, les auteurs indiquent la présence d'amatoxine dans la girolle (Cantharellus cibarius), le cèpe de Bordeaux (Boletus edulis) et l'agaric sylvestre (Agaricus sylvestris). Ces résultats suggèrent que l'amatoxine a peut être un rôle à jouer dans le développement des basidiomycètes au niveau de la régulation de la synthèse des protéines.

On est très loin des concentrations d'amatoxine que l'on retrouve chez des champignons du genre Amanita mais il faut savoir que ça existe.

Des toxines dans les champignons comestibles

Conclusions, perspectives et discussions

A travers ces exemples qui sont là pour alimenter la discussion, on se rend compte que la mycotoxicologie a encore beaucoup de travail en perspectives. Il faut garder à l'esprit que nombre de champignons reconnus autrefois comestibles sont désormais considérés comme toxiques. La comestibilité en effet est également une notion historique, tributaire de l'avancée des connaissances scientifiques, ces dernières malheureusement également tributaire des malheureuses expériences culinaires des consommateurs. De nouveaux symptômes liés à une intoxication aux champignons ont été découverts récemment et il n'est pas exclu que d'autres soient découverts.

Il faut également raison garder et ne pas sombrer pour autant dans la mycétophobie. Les champignons contiennent certes des substances toxiques pour l'homme mais certains renferment également des substances actives d’intérêt médical, des antibiotiques et autres. On rentre ici dans le domaine de la mycothérapie, qui n'est pas le sujet de cet article.

Un champignon n'est pas un aliment mais un condiment. Constitué à 80 % d'eau mais aussi de chitine et d'autres sucres non digestes pour notre tube digestif, il est souvent très difficilement digéré par l'homme. Cela n'exclut pas qu'il renferme quelques nutriments comme des vitamines B mais nutritionnellement il n'équivaut pas à des fruits et des légumes pour les vitamines, ni à de la viande pour les protéines. Leurs qualités nutritives ne doivent pas faire oublier que leur valeur nutritive est faible et que le nombre d'espèces à valeur gastronomique est très faible.

Une meilleure connaissance de la mycotoxicologie, des cas de plus en plus fréquents d'allergie ou d'intolérance mais aussi des intoxications imputables à une surconsommation, font qu'il pas possible de garantir une innocuité absolu des espèces jusqu'à maintenant réputées comestibles.

Hormis les champignons comme l'amanite phalloïde et d'autres où la toxicité n'est pas discutable, la frontière entre la comestibilité et la toxicité est souvent mince. La phrase bateau qui ressort est "c'est la dose qui fait le poison". La réalité n'est plus aussi simple que du temps de Paracelse à qui cette phrase est attribuée. La notion de dose ne prend pas en compte les allergies, les intolérances, les effets cocktails ni les courbes en U où la toxicité n'est plus fonction linéaire de la dose. Utiliser cette phrase est non seulement réducteur mais aussi dangereux. La réalité est plus complexe qu'une simple dichotomie entre les bons et les mauvais.

Des toxines dans les champignons comestibles

Sources

Mycologie médicale de RIPERT Christian

Influence of storage and household processing on the agaritine content of the cultivated Agaricus mushroom. Schulzová V1, Hajslová J, Peroutka R, Gry J, Andersson HC http://www2.unil.ch/unicom/allez_savoir/as9/2champi2.html in Food Addit Contam. 2002 Sep;19(9):853-62

Quantities of agaritine in mushrooms (Agaricus bisporus) and the carcinogenicity of mushroom methanol extracts on the mouse bladder epithelium]. Hashida C1, Hayashi K, Jie L, Haga S, Sakurai M, Shimizu H. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/2132000

Mushrooms and agaritine: A mini-review in Journal of Functional Foods Volume 2, Issue 2, April 2010, Pages 91–98 (http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1756464610000241)

http://www.smd38.fr/documents/formations/Agaricus30_05_16.pdf

http://champignons-de-france.fr/Généralités/La%20consommation%20des%20champignons.html

http://ac.els-cdn.com/0014579376802529/1-s2.0-0014579376802529-main.pdf?_tid=46c786c4-863d-11e6-a39b-00000aacb360&acdnat=1475151022_f70291906e3c67bd8f8a06854128ce10

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