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Réflexions sur l'usage des plantes médicinales en l'état

L’histoire des hommes et des plantes est intimement liée. Notre espèce omnivore, ingénieuse et observatrice, a su utiliser les plantes pour se nourrir mais aussi pour se soigner. Par l’observation, tâtonnements (non sans risques et accidents), transmission orale puis écrite, une connaissance empirique sur les plantes médicinales s’est constituée et transmise.

Actuellement on note un engouement du public pour l'usage des plantes médicinales. On ne peut que se réjouir que les gens s’intéressent à cette branche de la médecine mais, comme dans toutes circonstances, l'esprit critique doit demeurer et il convient d'être informé des limites de cette approche et des dérives qui existent.

L'objectif de cet article est d'initier une réflexion sur l'usage des plantes médicinales en l'état, poser des questions, énoncer des faits. De plus en plus de personnes ramassent des plantes médicinales de façon récréatives pour se soigner et c'est à ces personnes que cet article est avant tout destiné.

On ne traitera pas ici du risque d'erreur d'identification, de la cueillette d'une plante dans un environnement pollué ni aux risques de contre-indications physiologiques et/ou médicamenteuses de l'utilisation d'une plante. Les sorties guidées avec un botaniste pour apprendre à identifier les plantes, un avis médical préalable avant l'utilisation d'une plante médicinale, réduisent fortement ces risques.

Se soigner avec des plantes en l'état relève de l'aléatoire, du hasardeux et nous allons voir pourquoi.

Réflexions sur l'usage des plantes médicinales en l'état

Les substances actives des plantes

De tout temps, les hommes ont utilisé les plantes pour se soigner; cependant, il était impossible d'expliquer rationnellement comment ces plantes agissaient.

On choisissait souvent plantes et animaux pour leur apparence qui évoquait un organe ou une affection et il s'avéra souvent que cette similitude indiquait mystérieusement un effet thérapeutique. Ce qu'on appelle la théorie des signatures.

Avec le développement des sciences naturelles au XIXème siècle, notamment la chimie organique et la pharmacologie, on peut déterminer quel principe actif a un effet thérapeutique pour une affection donnée et l'isoler.

Les principes actifs les plus importants des plantes médicinales sont les alcaloïdes, les glucosides,les huiles essentielles, les tanins. Ce sont tous des produits du métabolisme secondaire des plantes.

Définissons d'abord le métabolisme primaire

Un métabolisme primaire est un type de métabolisme concernant la croissance, le développement et la reproduction normale d'une plante. Il génère des métabolites primaires ayant généralement une fonction physiologique dans cet organisme, c'est-à-dire une fonction intrinsèque.

Le métabolisme secondaire est dérivé du métabolisme primaire. Ce métabolisme n'est pas directement impliqué dans les processus physiologiques indispensables d'une plante, mais possède typiquement une fonction écologique importante, c'est-à-dire une fonction relationnelle. Il exerce un rôle majeur dans l’adaptation des végétaux à leur environnement et assure des fonctions clés dans la résistance aux contraintes biotiques (phytopathogènes, herbivores, etc.) et abiotiques (UV, température, etc.).

Les animaux sont mobiles pour rechercher leur nourriture, pour échapper aux prédateurs et pour se reproduire, ce qui n'est pas le cas des végétaux. La sélection naturelle a sélectionné d'autres stratégies de défense pour les plantes. Les métabolites secondaires sont ainsi impliqués étroitement dans ces stratégies de dissuasion des prédateurs avec les odeurs qui repoussent les herbivores et des plantes toxiques qui "éduquent" les herbivores à les éviter pour ne pas être broutées.

Chez les végétaux, ces composés secondaires regroupent plusieurs dizaines de milliers de molécules différentes, généralement rassemblés en superfamilles chimiques qui contiennent une part des principes actifs des plantes médicinales utilisées par l'homme. La majorité des métabolites secondaires sont regroupés en trois classes sur la base de leur origine biosynthétique : les terpénoïdes, les alcaloïdes et les composés phénoliques .

Ces métabolites secondaires sont le reflet de la vie d'un écosystème : ils participent à la régulation de la démographie des plantes entre elles, ou des animaux qui établissent des relations avec les plantes.

Outre leur très grande diversité chimique , ces métabolites secondaires se caractérisent généralement par de faibles concentrations dans les tissus végétaux.

La première des choses à retenir est que ces principes actifs ne se retrouvent pas à tout moment dans une plante mais dans des circonstances bien particulières. N’est-il pas ironique de parler de la bienveillance des plantes à notre égard alors qu’elles synthétisent ces substances pour se protéger justement de notre gloutonnerie ?

Ces composés sont limités à certaines espèces de végétaux et sont importants pour la survie et la valeur adaptative des espèces qui les synthétisent. Par conséquent, toutes les plantes ne sont pas médicinales.

Beaucoup de médicaments courants sont dérivés de ces métabolites secondaires que les plantes utilisent pour se protéger des herbivores, parmi lesquels l'opium, l'aspirine, la cocaïne et l'atropine. Ces substances chimiques ont évolué pour affecter la biochimie des insectes par des voies très spécifiques. Cependant, beaucoup de ces voies biochimiques ont été conservées chez les vertébrés, y compris les humains, et ces substances agissent sur la biochimie humaine de manière très similaire à leur action sur les insectes.

Traits de défense chimique, les métabolites secondaires se caractérisent donc par une très grande diversité. L’estimation du nombre de composés décrits à ce jour varie entre 100 000 (Hadacek 2002) et 200 000 (Hartmann 2007) structures et on estime que le nombre de composés pourrait être encore plus élevé, surtout dans les forêts tropicales (Mendelsohn & Balick 1995). Tous les métabolites secondaires n’interviennent pas dans la défense contre les herbivores ou les pathogènes mais c’est le cas d’une grande proportion de composés (Hadacek 2002; Hartmann 2007).

Réflexions sur l'usage des plantes médicinales en l'état

Des causes de la variabilité des substances actives dans les plantes

Pour une même espèce de plante médicinale, on peut observer différents niveaux de variabilité :

- variabilité interspécifique : au sein d'une même espèce, les plantes n'ont pas forcément le même profil (par exemple phénomène d'homochromie, existence de sous espèces, etc.) Cette variabilité peut être liée au terroir et/ou des phénomènes épigénétiques ;

- variabilité intraspéficique : profils chimiques (chémotype) différents ;

- variabilté abiotique liée en fonction du cycle végétatif de la plante, du climat, des variations horaires, etc.

- variabilité liée aux conditions de séchage, de préparation de la plante ;

- dans un cas documenté, la présence d'une bactérie du sol, Agrobacterium rhizogenes, avait un effet favorable sur la production de métabolites secondaires chez Datura innoxia. Et le plus surprenant, c'est que cette interaction s'est faite via un transfert de gènes entre la bactérie et les cellules racinaires de la plante (thèse de Vu Thi Dao de juillet 2008, référence en fin d'article). La nature n'a pas attendu l'homme pour faire de la transgenèse, créer des OGM et d'ailleurs cette transgenèse est aussi un des moteurs de l'évolution. Les anti-OGM qui se veulent défenseurs de la nature ferait bien de l'étudier d'avantage avant d'utiliser des moisissures argumentatives fausses.

Que retenir de cela ? Selon le biotope, l'altitude, l'heure de récolte, le temps, la saison, le caractère sauvage ou cultivé, etc. la composition et le taux de principes actifs dans la plante ne seront absolument pas identiques.

Quand on garde à l'esprit que bon nombre de principes actifs sont des métabolites secondaires et que ces derniers sont impliqués notamment la protection de la plante contre les stress abiotiques (UV dans le cas des flavonoïdes, stress hydrique….), on comprend aisément le rôle des conditions extérieures dans la présence et le taux de la plante.

Pour citer un exemple documenté, dans le cas de l'artémisine, principe actif anti-paludéen contenu dans la plante Artemisia annua, la teneur en artémisine des feuilles (sèches) de différentes variétés de la plante peut varier de 0.01 à 1,5 % (

Il faut donc se sortir de l'esprit qu'une plante contient un taux fixe de principes actifs.

L'usage des plantes en l'état, du hasard ?

L'usage des plantes en l'état, du hasard ?

Un effet placébo à ne pas négliger

Considérant alors que ces métabolites secondaires sont souvent présent à des taux très faibles et qu'il y a une variabilité non négligeable de leur présence et concentration au sein de la plante, l'obtention d'un effet thérapeutique par un usage en l'état présence un caractère aléatoire et non garanti.

A ceci peut se rajouter également un effet placébo. Un placebo est un traitement d'efficacité pharmacologique propre nulle mais agissant, lorsque le sujet pense recevoir un traitement actif, par un mécanisme psychologique et/ou physiologique. Le médicament placebo ne contient que des composés chimiques neutres ou n’interférant a priori pas avec l'évolution de la maladie.

Plusieurs facteurs font varier l'intensité de l'effet-placebo ; on peut citer entre autres :

- le médicament et mode d'administration (taille, forme, couleur, goût, fréquence, présentation et conditionnement...) ; dans ce cas il suffit de croire qu'on prend un produit "naturel" pour influencer la guérison ;

- l'état d'esprit du malade : il joue bien sûr un rôle important selon la nature de son attente, son degré de confiance voire de crédulité

Il ne s'agit pas ici de dire que la guérison par l'utilisation d'une plante médicinale relève exclusivement de l'effet placébo mais de rappeler un phénomène qui existe et qui a certainement un rôle à jouer.

Réflexions sur l'usage des plantes médicinales en l'état

Sur la notion de totum, d'extraits de plantes

La phytothérapie actuellement se divise en deux grands courants :

- la phytothérapie de la plante totale qui prétend utiliser le «totum» de la plante, c’est-à-dire la synergie de la totalité des éléments de la plante. Dans une plante, le tout est supérieur à la somme des parties. Cette formule, bien connue, confirme l’effet de synergie important recherché dans l’utilisation des plantes. Pour certaines plantes, cette notion de totum est une réalité qui est prise en compte dans les études pharmacologiques.

- la phytothérapie d’extraits

Dans ce cas on utilise les principes actifs sous différentes formes galéniques ; la forme la plus fidèle au totum est théoriquement la poudre de plante sèche, mais on ignore la biodisponibilité des principes actifs qui ne sont pas mis en solution dans un solvant. La tisane peut être généralement fidèle au totum si les principes actifs sont essentiellement des molécules solubles dans l’eau.

Les EPS, extraits fluides de plantes fraîches standardisés, sont des médicaments de plantes issus de l'extraction Phytostandard, mis au point au milieu des années 90 par le pharmacologiste Daniel Jean et commercialisés au début des années 2000. Les plantes sont broyées à froid (-90°). Leurs molécules actives sont ensuite récupérées par multi-extraction hydroalcoolique et préservées dans une solution glycérinée sans sucre et sans alcool. Ces extraits se rapprochent de la notion de totum.

Dans tout les cas, il faut se garder de faire des généralisations et de considérer chaque plante au cas par cas, selon le principe actif recherché.

Réflexions sur l'usage des plantes médicinales en l'état

L'usage des plantes en l'état

Les plantes en état sont les plantes médicinales inscrites dans la pharmacopée européenne et française. La pharmacopée est l’ouvrage réglementaire destiné à être utilisé par les professionnels de santé. Elle définit les critères botaniques et phytochimiques qui permettent la caractérisation, l’identification, et le contrôle de qualité de la plante.

Les producteurs de ces plantes sont soumis à une réglementation incluant de bonnes pratiques. des contrôles sont réalisées pour vérifier le respect de ces critères de qualité et phytochimiques.

Dans tout les cas, acheter ces plantes en pharmacie offre au consommateur une garantie, une sécurité dans leur usage mais aussi une teneur en principes actifs vérifiées, que ce soit dans les extraits secs qu'aux extraits purifiés standardisés.

D'autres éléments de réflexion

La trace supposée la plus ancienne de soin remonte à 4500 ans avec Ötzi. L'autopsie de son corps indiqua que ses intestins étaient infestés par un parasite, un ver nématode, Trichuris trichuria. Autour de son cou a été retrouvé un collier avec des morceaux séchés de champignon, le Piptoporus betulinis, dont on sait maintenant qu'il contient des principes actifs contre ce parasite.

Piptoporus betulinus

Piptoporus betulinus

Que reste-t-il aujourd'hui de ce savoir ancestral ? Nos aïeux, grands parents, utilisent encore fréquemment divers remèdes, tisane digestive, etc.

3/4 de la population mondiale font appel aux plantes médicinales pour se soigner et dans certaines contrées isolées, le savoir du tradipraticien est précieux car d'une part c'est la seule source de médecine pour des gens éloignés de toute infrastructure médicalisé, et d'autre part cette culture appartient à une tradition, l’identité de ces peuples.

Deux problématique se dégagent : comment préserver ce savoir et en quoi la compréhension de ces pratiques peut-elle contribuer à la thérapeutique moderne ? C'est tout le rôle d'une discipline scientifique que j'ai développé dans un autre article, l'ethnopharmacologie, qui permet un lien, une passerelle entre tradition et science.

J'ai beaucoup de respect pour cette discipline qui est une agrégation de compétences diverses : ethnologie, anthropologie, botanique, toxicologie, pharmacologie, etc. et c'est cette approche multi-disciplinaire que je privilégie à la rengaine stérile des gentils qui utilisent la nature d'un côté et les méchants vendus à Big Pharma de l'autre.

Des parasites se nourrissent de la peur des gens en instillant des discours anxiogènes, en sélectionnant des informations concernant des conflits d’intérêt, des scandales. L'être humain n'est pas parfait, l'appât du gain est une réalité et quand ce dernier se fait au détriment de l'objectivité scientifique, des sanctions doivent être prises à juste titre. Mais je peux faire le choix de faire une généralisation abusive et mettre tout le monde dans le même sac ou apporter aussi mon attention sur ce qui marche, sur les succès.

Il est temps de sortir de ce schéma binaire complètement stérile et il est vrai que ça demande un effort intellectuel pour notre cerveau qui apprécie le fonctionnement binaire. Évidemment qu'il y a eu des scandales en médecine et en pharmacie, mais est-ce une raison pour tout balayer d'un revers de main ? L'esprit humain est surprenant de ne retenir que les choses négatives et d'omettre les succès. Peut être est ce le fait de vivre dans une société où heureusement on ne meurt plus normalement de diphtérie, de tuberculose, de la rage, du tétanos et tant d'autres maladies infectieuses qui ont fait des ravages autrefois. De nouvelles maladies sont certes apparues, métaboliques, maladies liées au vieillissement, etc. mais la science travaille et émettons l'hypothèse que les maladies de demain ne seront pas les mêmes qu'aujourd'hui.

Opposer le traditionnel et le moderne a un autre revers plus pervers encore, celle de favoriser la prolifération de charlatans sans scrupules qui feront miroiter que le "naturel" guérit tout et n'importe quoi, de mouvements anti-vaccination et d'autres fadaises dangereuses qui veulent nous ramener au Moyen-Age. Un enfant encore récemment au Canada en a fait les frais, décédé d'une méningite que ses parents avaient tentés de soigner avec du...gingembre.

La modestie, l'humilité et la prudence doivent être le fil directeur aussi bien de la médecine occidentale que de la phytothérapie ou de n'importe quelle médecine. Ce n'est pas la vaniteuse notion de supériorité qui doit primer mais la complémentarité. Construire des passerelles au lieu de murs, pour la sécurité et la guérison du patient.

Conclusion

L'usage en l'état des plantes médicinales a donc des limites intrinsèques et extrinsèques. Il faut en être conscient.

Comment sont synthétisées et s' accumulent ces différentes catégories de substances ? Quel est leur rôle dans les chaînes alimentaires ? Peut-on jouer sur les profils biochimiques des plantes ? Quelles sont les exploitations de plus en plus diversifiées de l'extraordinaire panoplie chimique des plantes ?

Entre 20 000 et 25 000 plantes sont utilisées dans la pharmacopée humaine. 75% des médicaments ont une origine végétale et 25% d'entre eux contiennent au moins une plante ou une molécule active d'origine végétale. L'Homme a inventorié près de 270 000 espèces végétales et on estime entre 300 000 et 500 000 espèces de plantes vivant sur la planète. Le plus grand nombre d'entre elles vit dans les forêts tropicales et équatoriales: donc 7% de la surface du globe abrite 75% des espèces végétales. Ces forêts recèleraient près de 400 nouveaux médicaments potentiels. La déforestation intensive mais aussi le changement climatique compromettent notre capital de nouvelles molécules médicinales.

On a l'obligation de préserver tout autant l'environnement que les traditions et connaissances d'autres cultures car c'est en intégrant toutes les disciplines, toutes les connaissances, que les découvertes se feront.

Sources :

http://mastervrv.free.fr/cours/S1/RMA1/3.pdf

http://www.itab.asso.fr/downloads/jt-intrants2013/05_c__bertrand_4p.pdf

http://docnum.univ-lorraine.fr/public/INPL/2008_VU_T_D.pdf

http://thesesups.ups-tlse.fr/1074/1/Courtois_Elodie.pdf

http://www.mediachimie.org/sites/default/files/sk-fiche4.pdf

http://www.jpboseret.eu/biologie/index.php/ecologie/les-plantes-medicinales

6TRIGG, PI.Qinghaosu as an antimalarial drug.
Economic and Medicinal Plant Research, 1989, 3, 19-55.

DEBRUNNER, N., DVORAK, V., MAGALHAES, P., DELABAYS N.
Selection of genotypes of Artemisia annua L. for the agricultural production of artemisinin.
Proceedings of an international Symposium: breeding research in medicinal and aromatic
plants
Quedlinburg (Allemagne): F. Pank editions, 1996, 222-225.

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