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Le vinaigre dans le nettoyage des plantes sauvages. Entre mythe et réalité

J’ai souvent vu passer sur divers forums l’information qu’il fallait traiter les plantes avec du vinaigre dilué dans de l’eau pour les désinfecter, les assainir, etc.

Dans cet article, je vais me pencher sans à priori sur cette affirmation et considérer cette question sur des faits objectifs et vérifiables.

Les sources utilisées pour la rédaction de cette note sont consultables à la fin de l’article. Elles proviennent essentiellement des recommandations officielles de santé basées sur les avis scientifiques de l’ANSES, l’agence nationale de sécurité sanitaire.

Évidemment le débat est ouvert et j’invite chaudement toutes les personnes qui véhiculent cette affirmation à verser aux débats leurs sources pour alimenter et faire progresser la connaissance à ce sujet.

Le vinaigre dans le nettoyage des plantes sauvages. Entre mythe et réalité

Que signifie désinfecter ?

La désinfection est une élimination dirigée de germes, destinée à empêcher la transmission de certains micro-organismes indésirables, en altérant leur structure ou leur métabolisme.

Elle s’oppose à la stérilisation qui vise globalement tous les germes, alors que dans la désinfection, on vise les micro-organismes jugés indésirables.

La désinfection n'est pas à confondre avec le nettoyage qui consiste à enlever les souillures visibles. La désinfection a lieu généralement après le nettoyage.

La désinfection est une réaction chimique entre le produit de désinfection et certaines parties du micro-organismes. Elle obéit donc aux lois générales de la chimie. Pour effectuer une désinfection, il faut donc, entre autres, un temps d’action, une concentration donnée, une température d’action.

En résumé, désinfecter signifie utiliser un protocole précis pour garantir l' efficacité.

Dire qu’il faut laver à l’eau vinaigrée, sans autre précision, n’est pas assimilable à un protocole de désinfection. Quelle quantité, quelle dilution, quel temps d’application ?

En conséquence, claironner qu’il faut utiliser du vinaigre dilué sans toute autre précision est tout sauf sérieux.

Seul un nettoyage rigoureux sous l'eau courante est efficace pour nettoyer et ce n'est en aucun cas une désinfection.

Qu’est ce que le vinaigre ?

Le vinaigre est une solution aqueuse dont le soluté essentiel est l'acide acétique. En d’autres termes, principalement de l’acide acétique dissous dans de l’eau. Le vinaigre commun comporte une concentration d'environ 5 à 8 % en masse d'acide acétique, encore nommé acide éthanoïque (CH3COOH). Son pH est compris entre 2 et 3.

Le vinaigre blanc, aussi appelé "vinaigre cristal" est produit à partir de la distillation de vinaigre de malt (obtenu par fermentation de grains d'orge) ou de vinaigre d'alcool obtenu par fermentation d'amidon de maïs, ou encore en mélangeant de l'acide acétique avec de l'eau. Le taux d’acide acétique peut varier (de 6 à 8 %) mais les caractéristiques chimiques restent les mêmes.

L'acide acétique

L'acide acétique

Un usage comme produit phytopharmaceutique et pour désinfecter les outils de jardinage.

Le règlement d’exécution (UE) n°2015/1108 a validé pour le vinaigre un usage phytopharmaceutique comme bactéricide et fongicide. Le vinaigre doit être de qualité alimentaire, contenant au maximum 10 % d'acide acétique (annexe I).

Dans ce cas, il faut garder à l'esprit trois choses :

- on parle bien de vinaigre non dilué

- le vinaigre doit contenir au maximum 10 % d'acide acétique.

- seule son utilisation fongicide et bactéricide est validée. En aucun cas on élimine les parasites

La direction des espaces verts de la mairie de Paris a défini un protocole pour la désinfection des outils de coupe, utilisant du vinaigre en dilution. Ce protocole est décrit dans le lien suivant : http://www.ecophytozna-pro.fr/data/fiche_d_usages_vinaigre_desinfectant_vdp_1.pdf

Remarques concernant ce protocole :

- je n'ai pas trouvé d'éléments de validation de ce protocole, ce qui ne signifie pas qu'il est inexistant ;

- les bactéries pathogènes pour l'homme, dont nous parlerons après, ne font pas partie du listing des bactéries qui seraient éliminées par ce traitement ; les bactéries listées sont des agents pathogènes pour les végétaux, ce qui est compatible avec un usage phytopharmaceutique. On n'est donc pas dans une démarche de désinfection des plantes sauvages avec ce protocole ;

Donc effectivement, et c'est raisonnablement prévisible, le vinaigre a une action bactéricide et fongicide, grâce à l'acide acétique dont nous allons voir le mécanisme d'action au prochain paragraphe. Il convient néanmoins de garder une séparation entre l'usage phytothérapeutique et l'usage domestique. Dans chacun des cas, les dangers à considérer sont différents.

Comment agit l’acide acétique ?

L'acide acétique est un acide faible, avec un pKa d'environ 4,8 à 25 °C. Le vinaigre domestique a un pH de 2,4, ce qui signifie que seules 0,4 % des molécules d'acide acétique sont dissociées. Si le pH de votre préparation est inférieur à 4.8 (en se plaçant toujours à 25°C), la forme CH3COOH domine, si ce pH est supérieur à 4,8, la forme CH3COO- domine.

Dis autrement, la forme CH3COOH prédomine sur la forme CH3COO- dans le vinaigre. Ce détail a son importance car c’est la forme non dissociée qui inhibe le développement bactérien mais aussi pénètre dans la bactérie pour la détruire.

Donc effectivement le vinaigre avec un pH de 2,4 a une action bactéricide et bactériostatique. Mais si maintenant vous diluez ce vinaigre dans de l’eau, le pH de votre solution va augmenter et peut être dépasser ce pKa. Donc vous allez vous retrouver avec la forme CH3COO- qui n’a plus d’effet anti bactérien. A un pH4, 84 % de l’acide acétique est sous forme non dissociée. A pH6, cette proportion chute à 5 %

Par conséquent, nettoyer en l’état les plantes sauvages avec du vinaigre diluée dans de l’eau ne garantit pas une élimination des bactéries pathogènes.

Quels sont les dangers qu’on peut rencontrer avec les plantes sauvages ?

Avertissement préalable : cette liste n’est pas exhaustive. J’ai sélectionné les dangers les plus couramment évoqués et ne seront pas développés les dangers liés à une mauvaise identification de la plante. Il n’est pas besoin de rappeler que la cueillette sauvage nécessite de solides connaissances, dont des connaissances botaniques pour éviter tout risque de dangereuses confusions.

Les dangers chimiques

On peut citer les produits phytopharmaceutiques ou d’autres polluants comme les métaux lourds par exemple. Le moyen de maîtrise de ce danger est de s’informer préalablement de la « qualité » de l’environnement, vérifier s’il n’y a pas des sources contaminantes à proximité comme des champs cultivés où l’exploitant pourrait utiliser ce type de produits.

Dans ce cas, un rinçage simplement à l’eau courante permettra de réduire le taux de contamination superficielle mais sera inefficace pour éliminer la contamination endogène qui a pu se produire via l’absorption des molécules par le système racinaire de la plante. Dans tout les cas, le vinaigre n’apporte aucune plus-value.

Mais il est préférable d’effectuer sa cueillette dans un endroit le plus préservé possible.

Le vinaigre dans le nettoyage des plantes sauvages. Entre mythe et réalité

Les dangers parasitaires

L’échinococcose alvéolaire (Echinococcus multilocularis)

Petit tænia appartenant à la classe des cestodes. Il est responsable d’une zoonose parasitaire provoquant une maladie hépatique potentiellement grave, l’échinococcose alvéolaire.

La transmission à l’Homme se fait exclusivement par voie orale, par ingestion directe d’œufs de parasites présents sur des végétaux souillés ou plus rarement de manière indirecte par ingestion d’oeufs manuportés après contact avec le pelage souillé d’animaux porteurs du parasite. Les œufs sont présents dans les excréments du renard et d’autres animaux carnivores domestiques contaminés (chien et chat)

Il est cependant inutile de traquer les déjections pour identifier un risque, le parasite pouvant survivre plusieurs mois à terre.

Tordons déjà le cou à une idée reçue : l’échinococcose alvéolaire ne se transmet pas par l’urine mais par les excréments contaminés.

Maîtrise du danger :

- une bonne hygiène des mains après manipulation d’animaux potentiellement porteurs d’œufs du parasite (sur leur pelage), renards en particulier (manipulation des animaux morts avec des gants) mais aussi pour les animaux domestiques

- la congélation domestique ne permet pas l’inactivation des œufs du parasite ;

- les lavages même intensifs ne peuvent garantir l’élimination complète des œufs de parasite déposés en surface ;

-l’utilisation de vinaigre, d’alcool ou d’eau de Javel diluée ne permet pas de réduire le risque de contamination des aliments ;

-pour les aliments collectés au niveau du sol, il est recommandé dans la mesure du possible de les consommer cuits (70 °C, 5 min).

La grande douve (Fasciola hepatica)

La fasciolose humaine est liée à la présence de mammifères parasités (en particulier dans les élevages) et à la consommation de végétaux poussant en milieu humide. L’Homme se contamine en ingérant des végétaux crus porteurs des métacercaires : cresson surtout, mais aussi salades sauvages.

Maîtrise du danger :

- éducation sanitaire de la population : la population doit être informée des risques que présentent, lorsqu’ils sont consommés crus, les végétaux collectés (salades) dans des situations non-contrôlées ;

- la protection essentielle consiste à déconseiller très fortement toute consommation à l’état cru de végétaux collectés dans ces milieux naturels (cueillette sauvage) ;

- le lavage des feuilles de cresson, y compris avec du vinaigre,est insuffisant pour éliminer le danger

Dans le cas des vers parasites, le vinaigre est complètement inefficace.

Les dangers bactériens

Plusieurs bactéries pathogènes se trouvent dans la terre (on parle de bactéries telluriques). On peut citer Listeria, Clostridium botulinum, Bacillus cereus, etc., des bactéries pouvant entraîner des pathologies graves pour l’homme. On peut aussi citer les bactéries entériques (Salmonelle par exemple) apporté par des déjections animales.

Le lavage à l’eau potable enlève 90 à 99% des bactéries qui se trouvent en surface.

Il faut néanmoins relativiser. Olivier Cerf, expert auprès de l’ANSES, explique que ces pourcentages peuvent paraître élevés, mais ils ne le sont pas. La charge microbienne étant généralement de l’ordre de dix à cent millions de bactéries par centimètre carré avant lavage, ce dernier la fait descendre – au mieux – entre cent mille et un million de bactéries par centimètre carré. C’est encore beaucoup.

Bactérie salmonelle

Bactérie salmonelle

Conclusions

La poussière, les traces de terre et les possibles déjections doivent être dans un premier temps, éliminées par un simple lavage à l'eau potable. Ce lavage doit être effectué avec rigueur car il éliminera déjà une partie non négligeable des dangers que l’on a traités.

Le trempage dans de l’eau vinaigrée n’apportera aucune plus value en dehors d’un protocole clair indiquant une durée de trempage, une température d’action et un coefficient de dilution. Aucun protocole officiel validé par une instance scientifique n’existe pour l’instant.

Le recueil de recommandations de bonnes pratiques d’hygiène à destination du consommateur, évalué et validé par l’ANSES indique noir sur blanc (page 9) que pour l’entretien des surfaces, le vinaigre blanc ne peut être utilisé que comme détartrant. Il n’est nulle part fait mention d’un traitement désinfectant avec du vinaigre ou de l’eau vinaigrée, même pas à la page 32 qui traite de la cueillette récréative.

Contre les parasites et de manière plus globale contre les micro-organismes pathogènes, la cuisson est la seule solution efficace. Oubliez la congélation dans le cadre domestique ou d’autres méthodes fantaisistes qu’on peut lire par ailleurs.

Que dire donc du vinaigre ? Qu’il a certes un potentiel désinfectant en l’état sans dilution mais qu’il ne fait pas des miracles non plus et en aucun cas sur les parasites.

Dilué dans de l’eau, excepté pour les germes cités dans le protocole de la ville de Paris (Pseudomonas syringae, Erwinia amylovora, des bactéries pathogènes pour les végétaux) rien ne démontre un quelconque potentiel anti microbien du vinaigre pour des bactéries pathogènes pour l'homme et en l’absence de tout protocole formalisé et validé, cette allégation n’engage que ceux qui y croient.

L’important est de mettre l’accent sur les bonnes pratiques de cueillettes et d’hygiène : dans la mesure du possible récolter dans un environnement le moins pollué possible, dans des zones sans transit d’animaux domestiques, bien nettoyer ses mains avant et après la cueillette, nettoyer soigneusement sa cueillette à l’eau claire. Les consommateurs, en particulier des populations sensibles (femmes enceintes, enfants en bas âge, personnes immuno-déprimées et fragilisées, personnes âgées), doivent également connaître et appliquer les « bons gestes » pour réduire le risque.

Les dangers traités ici pour les plantes sauvages peuvent également se rencontrer pour des plantes cultivées, dans une moindre mesure puisque les professionnels sont sensibilisés à ces dangers et mettent en place des mesures de maîtrise.

Si vous voulez utiliser du vinaigre, c’est évidemment à vous de voir. La probabilité est faible que ça vous nuise mais gardez à l’esprit qu’il s’agit d’une fausse sécurité et que cela n’assainit pas grand chose. Il ne s'agit pas de céder à la psychose ni encore moins de se reposer sur une fausse sécurité mais de rester toujours prudent.

La prévention et des précautions en amont lors de la cueillette réduiront déjà énormément les risques, tout en gardant à l’esprit que le risque zéro n’existe pas et, qu’excepté une cuisson suffisante pour les dangers microbiologiques traités ici, il n’existe pas de potion magique qui assainit tout.

Historique des mises à jour

- version 2 du 14/03/16 : intégration du règlement européen n°2015/1108 concernant l'usage phytothérapeutique du vinaigre et commentaires. Merci à Dominique pour cette pertinente information

Sources :

http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A32015R1108

https://www.anses.fr/fr/system/files/MIC2011sa0033Fi.pdf

https://www.anses.fr/fr/system/files/MIC2011sa0172Fi.pdf

https://www.anses.fr/fr/system/files/MIC2008sa0172.pdf

http://www.sciencesetavenir.fr/sante/20140303.OBS8345/les-plantes-sauvages-sont-elles-sans-danger.html

http://www.md.ucl.ac.be/didac/hosp/cours/HH5.htm

http://www.ircen.com/_media/nettoyage-des-fruits-et-legumes.pdf

http://www.hygiene-securite-alimentaire.fr/wp-content/uploads/2014/08/lavage-légumes.pdf

http://www.hygiene-securite-alimentaire.fr/retour-decontamination-fruits-rouges/

http://fcorpet.free.fr/Denis/W/Cours-Acidification-pH-barrierres-Pwpt.pdf

http://agriculture.gouv.fr/consommateurs-connaissez-vous-toutes-les-bonnes-pratiques-dhygiene

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